Heureusement qu'on allait vers le printemps. Ils
marchèrent pendant des semaines, se nourrissant de scarabées et de musaraignes. Ils étaient en Pologne mais l'ignoraient, les chats ne connaissent pas la géographie et de toute façon Zinaïda
était déjà un vrai cancre dans son autre existence de fillette capricieuse. Ils avaient bifurqué chaque fois qu'ils entendaient le bruit des armes et se trouvaient dans une forêt profonde. La
princesse avait essayé d'appeler le Rabbi en frottant la mezouza avec sa patte, sans résultat car il venait d'être abattu par les Bolcheviks comme "social traître" en tant que religieux et il
errait quelque part entre la vie et la mort, ce qui ne prête pas aux apparitions.
- Je n'en
peux plus, j'ai les coussinets en sang, je ne ferai pas un pas de plus, gémit-t-elle un matin en s'étalant sur l'herbe du bas-côté. Laisse-moi mourir ici.
- Il n'en est pas question, dit Vassili. Et d'ailleurs, un
chat ne meurt pas dans la forêt, il y a toujours un petit quelque chose à grignoter.
- Peut-être, mais moi je peux redevenir humaine du jour au
lendemain…
Ils se chamaillèrent ainsi jusqu'au moment où Vassili poussa
un cri :
- Une automobile !
Ils n'en croyaient pas leurs yeux : qui donc pouvait bien
prendre ce chemin de terre perdu ?
Quelqu'un qui voulait éviter les grands axes en cette période
de guerre.